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Une interview avec Emmanuel Chevrier, CEO d’AVSimulation et Thomas Nguyen, Directeur Métier d’AVSimulation

 

Où en est-on de l’intelligence artificielle dans l’autonomous driving ?

 

E. Chevrier : un Véhicule Autonome – comme un être humain – passe par 3 étapes pour prendre une décision de conduite. Il perçoit d’abord le monde extérieur avec ses capteurs (LIDAR, Radars et caméras), c’est la phase « sense » de la perception, ensuite il analyse l’information, c’est la phase « think » de la réflexion et enfin il prend une décision, c’est la phase « act » de la prise de décision. Une chose qui à ma connaissance n’a pas changé depuis que je suis Directeur Général d’AVSimulation, c’est qu’on n’utilise pas l’intelligence artificielle pour prendre le contrôle du véhicule et pour la phase « act ». Nous utilisons des algorithmes prédictifs pour prendre des décisions dans un véhicule autonome. L’intelligence artificielle reste, à ce jour, une boîte noire, utilisée pour entrainer les capteurs qui sont les moyens par lesquels le véhicule se positionne dans son environnement.

 

 

On utilisera de l’intelligence artificielle pour améliorer la reconnaissance d’image. C’est par exemple le type d’intelligence que l’on retrouve chez Facebook et Apple pour reconnaitre des visages ou le texte. Cette reconnaissance d’image nous permet de faire de l’apprentissage supervisé, dans le but d’améliorer la détection des capteurs, et non pour prendre le contrôle du véhicule ou décider du destin du conducteur. C’est donc vraiment sur la partie « sensing » que l’on va retrouver de l’intelligence artificielle pour améliorer des logiciels de détection.

AVSimulation n’est pas un constructeur automobile, mais un éditeur de logiciels. À ce jour, l’intelligence artificielle est-elle présente dans SCANeR ?

E. Chevrier : En effet, il est important de rappeler que notre raison d’être n’est pas de développer des véhicules, mais d’aider nos clients à concevoir, valider et homologuer des véhicules autonomes, des ADAS (Advanced Driver-Assistance Systems) et les solutions de mobilité de demain. Sur la partie ADAS on va permettre d’entrainer des algorithmes de détection et d’analyse (« sense » et « think » grâce à de l’intelligence artificielle avec nos images de synthèse.

On regarde également comment, grâce à l’intelligence artificielle, on pourrait améliorer nos logiciels de trafic routier en se nourrissant de données de roulage réel pour mieux simuler ce dernier. On peut aussi imaginer d’utiliser l’IA pour rendre nos outils plus intuitifs, que notre éditeur de terrain puisse « deviner » ce que l’utilisateur a l’intention de faire et puisse proposer des accélérateurs.

Dans SCANeR on retrouve de l’intelligence artificielle sur les modèles de conducteurs qui peuvent être agressifs, prudents ou normaux. Nous avons des pilotes capables de conduire des véhicules d’une certaine façon, de manière autonome et y compris dans des situations difficiles.

Par exemple, un pilote de course qui doit choisir de manière la plus optimale une trajectoire, le choix de ses vitesses… le pilote a une phase d’adaptation et commence à apprendre à conduire son véhicule. Il essaie différents types de vitesse, de sollicitations, son comportement est similaire à celui d’un être humain lorsqu’il se familiarise avec un nouveau véhicule. On a là des modèles basés sur de l’intelligence artificielle et de la logique floue mais nous pouvons encore progresser pour encore plus de réalisme.

Où se positionne AVSimulation en termes d’offre sur le sujet dans l’espace automobile ?

E. Chevrier : Il y a plusieurs sujets concernant l’intelligence artificielle qui nous intéresse. Par exemple, il y a un sujet qui traite de l’utilisation du logiciel SCANeR pour entrainer des capteurs. Pour y arriver nous avons besoin de scènes qui soient très réalistes. C’est une des raisons qui nous incite à collaborer avec Epic Games sur le moteur Unreal afin que les images soient photoréalistes et donc indifférenciables de la réalité. Nous travaillons également avec l’IRT SystemX pour rendre encore plus immersives les scènes 3D et s’assurer que les images de synthèse puissent être utilisées pour entrainer des capteurs tout en évitant un mauvais apprentissage dû à la nature artificielle des images.

Les trafics routiers et la conduite sont différents d’un continent à un autre. Avez-vous des travaux de recherche en cours pour pouvoir, à l’aide de l’intelligence artificielle, spécialiser ou régionaliser le trafic routier ?

T. Nguyen : Derrière ces problématiques, il y a un nombre de techniques qui amènent à l’intelligence artificielle. Le modèle de trafic routier de SCANeR qui est là pour simuler et modéliser le comportement des véhicules sur la route repose sur une technique d’intelligence artificielle qui s’appelle système multi-agents. Développée depuis plus de 25 ans et basée sur des règles, cette technique permet de donner de bons résultats sur l’établissement de situations représentatives en simulant des comportements individuels. Dans notre cas, cela implique le choix d’une vitesse, d’une voie, le fait d’effectuer, ou non, un dépassement. Le multi-agents est le fait que chaque conducteur dispose de sa propre logique et de ses propres règles. Mélanger plusieurs acteurs dans le multi-agents nous permet d’arriver à un résultat représentatif. Dans un contexte d’intelligence artificielle cette technique s’apparente beaucoup à du Machine Learning.

 

Le Pack AD/ADAS comprend tout un ensemble de capteurs fonctionnels. Est-il est prévu d’y inclure de l’intelligence artificielle pour rendre ces derniers plus intelligents ou plus fidèles ?

E. Chevrier : Le but serait de les rendre plus représentatifs. On prévoit éventuellement d’étudier l’utilisation de l’intelligence artificielle pour rajouter des défauts. En effet, même si l’utilisateur peut introduire une dose de défaut, nos capteurs fonctionnels ont tendance à être trop « parfaits ». Cela n’est pas assez représentatif de la réalité car les capteurs réels présentent tous un certain nombre de défauts. Un de nos objectifs est donc d’utiliser l’intelligence artificielle pour apprendre les défauts des capteurs réels et être capable de les introduire au sein de nos capteurs fonctionnels.

Qu’est-ce qui différencie l’intelligence d’AVSimulation à celle de vos concurrents ?

T. Nguyen : Comme je l’ai dit précédemment, il y a l’approche multi-agents, avec une notion de logique floue pour une prise de décision pondérée. À chaque étape du processus, il y a plusieurs types de règles qui sont évaluées et pondérées pour, à la fin, prendre une décision. L’avantage est qu’on a réussi à prouver que cela menait à des comportements de grande échelle, individuel, réaliste et maitrisable.

Nous ne sommes pas à la recherche de l’aléatoire pur, il faut qu’on soit capable de prendre le contrôle de la décision. La technique étant basée sur des règles, cela est assez simple : il suffit de prendre le contrôle sur les règles ou de les désactiver.

Pouvez-vous me donner votre point de vue sur l’intérêt et l’usage de l’intelligence artificielle dans les produits AVSimulation.

T. Nguyen : Dans le cadre de la simulation l’intelligence artificielle permet de converger plus rapidement vers des scénarios et des situations simulées plus représentatives et d’amener un peu plus d’aléatoire. Dans les approches traditionnelles on ne fait pas de l’intelligence artificielle, on construit des modèles qui ont souvent tendance à se comporter toujours de la même manière. L’intelligence artificielle amène plus d’aléatoire et de non prévisible, ce qui peut être très intéressant pour les clients. La contrainte est que le non prévisible doit tout de même être réaliste et un minimum maitrisé.

E. Chevrier : C’est vrai que ça peut paraître surprenant quand on parle de véhicule autonome d’entendre que l’intelligence artificielle n’est pas forcément aux manettes du véhicule, mais qu’elle nourrit et participe activement à la création de ces derniers. À ce sujet, le leader des véhicules autonomes Waymo (société du groupe Alphabet), se positionne autour de l’intelligence qui va piloter le véhicule autonome et explique que chez eux, l’objectif premier est de fabriquer le meilleur conducteur. Ce conducteur se nourrit de toutes les expériences des véhicules qui circulent. Il se nourrit également de tous les kilomètres virtuels qui sont parcourus dans leurs simulateurs.

Un des sujets qu’il faut qu’on prenne en compte est que l’IA est présente même dans les smartphones et permet à ses utilisateurs d’avoir accès à la détection vocale et texte. Personne n’envisageait d’utiliser de la reconnaissance vocale et pourtant, aujourd’hui on passe très souvent par la dictée pour rédiger ses SMS.

Grâce au Cloud l’intelligence artificielle est consolidée, centralisée et tous les apprentissages bénéficient aux autres. C’est exactement ce que fait Waymo, qui va, grâce au réseau et apprentissage profond, avoir le conducteur le plus expérimenté du monde. Cela nous permet de constater que la collecte de données virtuelles et réelles alimente des algorithmes qui prendront de meilleures décisions grâce à l’IA.

Chez AVSimulation, il faut simplement qu’on appréhende l’intelligence artificielle comme un outil qui va nous permettre de faire un meilleur trafic routier, du photoréalisme, automatiser des tâches rébarbatives. Avec l’émergence de nouvelles normes comme ISO 21448 il faudra garantir la sécurité de la fonctionnalité autonomie (Safety of the Intended Function) en toutes circonstances, celles qui sont connues comme celle qui ne le sont pas. En créant des mondes virtuels cohérents complexes et réalistes grâce à l’intelligence artificielle on pourra générer de plus en plus de situations et diminuer la part d’inconnue. L’intelligence artificielle se démocratisant, je pense qu’il faut qu’on se penche sur ce qu’on peut faire pour nos clients et quelles sont les données qu’on a le droit d’utiliser.

Le constructeur Waymo et d’autres ont annoncés que le véhicule autonome allait prendre plus de temps que prévu. Vous confirmez ?

T. Nguyen : En effet, y a un nombre important de véhicules dit « autonomes ». Cependant, si au début, il y avait un fantasme autour du véhicule complètement autonome susceptible de cohabiter avec des véhicules non autonomes, capable d’aller chercher seul une personne puis de la transporter d’un point à un autre etc. Les ingénieurs et les législateurs ont été rapidement confrontés à la dure réalité. Cependant, il y a de plus en plus de véhicules qui sont de plus en plus autonomes dans certaines conditions maitrisées.

C’est le cas par exemple, dans les embouteillages, où le Traffic Jam Assist peut prendre la main, lorsque, coincé dans un embouteillage on doit rester vigilant sans réellement pouvoir faire quoi que ce soit. Alors oui le véhicule complètement autonome va mettre du temps à arriver. Cela dit, l’IA et la simulation vont permettre d’introduire, en douceur, des véhicules de plus en plus autonomes ce qui permettra, entre autres, d’éduquer les conducteurs et d’assurer une transition en douceur vers les nouvelles formes de mobilité.

Dans le Pack Massive Simulation, le logiciel SCANeR Explore permet de faire varier différents paramètres et de générer automatiquement des milliers de scénarios. 

Est-il prévu d’utiliser l’IA au sein de Explore afin d’éviter de générer trop de scénarios et de se concevoir que les scénarios vraiment utiles ?

T. Nguyen : C’est un domaine où l’intelligence artificielle pourrait être utilisée de manière pertinente. Explore doit répondre en effet à la question de l’explosion combinatoire. Dans chaque scénario il y a un grand nombre de paramètres en entrée qui peuvent tous varier indépendamment les uns des autres. Si on devait exécuter tous les scénarios susceptibles d’être générés, on ne pourrait tout simplement pas le faire car cela prendrait beaucoup trop de temps (même en temps simulé). L’intelligence artificielle pourrait être en effet utilisée afin de réduire de manière drastique le nombre de scénarios.

La grande difficulté, c’est d’être capable de déterminer ce qu’est un scénario pertinent et de déterminer la méthode la plus efficace pour en réduire le nombre. Une autre question se pose à notre équipe R&D : Comment éviter de supprimer des scénarios qui aurait pu être utiles ?

Tout cela reste encore du domaine de la recherche et de la prospective. C’est pourquoi, pour le moment, on préfère rester prudent. Mais oui, l’intelligence artificielle a toute sa place au sein de SCANeR Explore.

Quelles tendances voyez-vous émerger dans l’industrie des véhicules autonomes ? 

T. Nguyen : out ce qui concerne la reconnaissance, l’analyse et la perception. L’arrivée d’une plus grande puissance de calcul. L’IA requiert une demande de forte puissance de calcul ce qui peut être un frein à sa démocratisation.

E. Chevrier : l’intelligence artificielle reste encore une boîte noire. Nous ne sommes pas capables de comprendre comment sont prises les décisions. Cela pose un problème en particulier dans l’aéronautique et l’automobile, où on doit présenter des rapports d’analyses de ce qui s’est passé et respecter les réglementations, entre autres de sécurité. L’intelligence artificielle n’est pas encore capable de trouver les bonnes solutions seule, mais peut-être plus tard, avec les bons objectifs et les bonnes données.

Dans le cadre des outils de simulation considérez-vous que l’IA soit une révolution ? Quel est votre sentiment sur l’impact que va avoir cette dernière dans un futur proche ?

T. Nguyen : je dirai que ce n’est pas encore une révolution. Cela dit, cela amène beaucoup de potentiel, d’opportunités, de difficultés et de questions. Malgré les effets d’annonce de certains, on est encore dans l’exploratoire de tout ce que cela peut amener de manière pratique.

Un mot de conclusion ?

E. Chevrier : Dans le domaine de l’IA, nous avons des projets de recherche avec l’IRT SystemX. Nous sommes également impliqués dans l’initiative gouvernementale Pack IA et nous sommes en contact avec la société Quantmetry. Avec leur aide nous allons lancer un projet pilote interne pour familiariser encore plus nos ingénieurs à l’IA et définir une feuille de route pour introduire cette dernière dans nos produits logiciels. À ce titre, nous allons identifier et prioriser les cas d’usage et lister les sujets sur lesquels introduire une dose supplémentaire d’IA sera un vrai plus pour nos clients.